Florence GARRABÉ



Atomique ou métamorphoses

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Des œuvres d’une artiste constante

J'ai reçu le 25 septembre un carton d'invitation d’exposition, représentant un bel oiseau pointé de rouge. Cet usage apparemment anachronique et arbitraire de l’illustration semble être pour l’artiste Florence Garrabé une façon de signifier le caractère intemporel, de l’exposition, d’en signer l'événement.

Je rencontrai quelques jours plus tard, au cœur du vieux Toulouse, l’artiste. Au 5ème étage d'un immeuble austère, assises toutes deux dans un salon aux sources lumineuses variées, je la regarde, elle sonde mes questions, elle semble sans complaisance voire inquiétante. En l'écoutant je voyage, il me semble remonter à ses côtés le fleuve le plus sauvage de l'Ouest, traverser Tchernobyl, le no man’s land des plateaux Ukrainiens habité aujourd’hui par les loups, rencontrer Prométhée, redécouvrir la théorie atomique. Bref le temps infuse lentement au rythme de la description de ses travaux de recherche quotidiens, liés à sa pratique artistique. De fil en aiguille, d'art-textile et de réalité, elle raconte ses cycles d’œuvres. Elle puise dans les univers d'expression extraordinaire des éléments d'inspiration inépuisable. Son regard est aigu, je ne tenterai pas une historiographie du rapport des femmes aux ouvrages textiles cousus, brodés, tissés. Même si j’aimerais savoir si pour elle, l’utilisation du textile en temps que médium, est teinté de valeur féministe, comme pour ses précurseurs dès les années 60, Louise Bourgois et Annette Messager. Florence Garrabé, artiste, femme aussi, se protège de toute référence, elle développe pour elle-même des couches de protection, des peaux. Et émane d'elle, cette force d'indépendance hors de tout temps et de toute tendance. Elle semble être comme ses œuvres, d'un raffinement subversif. Elle traite dans un genre élégant et féminin les obsessions de chacun. Je pense en l'observant à Gunter Brus. Elle me décrit ses œuvres nouvelles. Ne dit-on pas "que les œuvres d'art, sont les témoignages les plus frappants, les plus riches peut-être de nos propres histoires", les siennes sont son histoire. Ses matériaux comme ces exquis napperons de dentelle teintés de camaïeux orangés choisis pour figurer foie, intestin, cœur, rate, ont une valeur romantique, elle nous propose là l'intérieur d'un corps qui se joue du sort de ses couleurs et du travail manuel de l’artiste.

Le tissu, la dentelle, par leurs histoires et leurs attributions se positionnent comme les matières les plus réfléchies du corps humain, en même temps le contenant et le contenu, le corps et l’enveloppe.

L'occasion pour Florence Garrabé, d'exprimer sa créativité, sa virtuosité technique et de repousser avec nous les limites de nos imaginaires. Ensemble nous sommes alors accrochés comme le corbeau représenté en l'œuvre est accroché aux entrailles de la bête humaine. Le corps de l'oiseau est saisi en plein vol, affranchi ainsi du traitement naturaliste. Florence Garrabé associe l’homme et l’animal, mettant au centre de son travail, la relation homme-nature-cosmos. Cette œuvre sculpturale exposée semble sortie d'un rite cultuel. La superstition s'invite dès le premier regard posé sur la "chose" œuvrée. La culture du corps semble reposer pour l’artiste comme pour les taoïstes sur "une alchimie intérieure et extérieure". On y lit (ou y est dit) en ces œuvres d’art, cette longue histoire artistique, spirituelle, religieuse, intellectuelle qui s'écrit dans le monde des formes. L'artiste y défend aussi sa vision de l'art pétrie de métaphysique, d'anthropologie et de culture.

Elle a effectivement l'art de magnifier le pire des mythes avec cette idée de métamorphose, de passage d'un état à un autre, qui l’a conduit à travailler « l'écorché ».

Mais, au-delà de l'aspect esthétique, cela lui a permis aussi d'explorer d’autres dimensions du thème. L’artiste nous parle certes de Prométhée, de ce titan qui aurait créé les hommes à partir d'eau et de terre mais aussi de fort symbole de l’intelligence humaine, de création, d’art et de science, de femmes et d’hommes, savants torturés par la recherche, philosophes par la vérité, révoltés contre toute autorité, champions de la liberté métaphysique. Toutes les créatures portent cette puissance symbolique et narrative infiniment chère aux artistes, aux écrivains, aux poètes, aux conteurs de précieux récits.

Plus encore en ces périodes sociétales difficiles, il est important de livrer une histoire à travers la création, une histoire connectée à un passé symbolique. Le mythe élargit l'univers de l'artiste, qui s'attache à rendre à la fois leur dérision sarcastique et leur merveilleux. Atomique est une œuvre à voir absolument. Mais il est temps pour moi de m'échapper de cet entre mondes.

Nathalie Thibat, Toulouse, le 26 septembre 2012